Passées du statut de gadget pour technophile à objet du quotidien de chacun, les enceintes connectées -ou assistants vocaux- incarnent la nouvelle relation entre les marques et leurs consommateurs en réinventant les codes du dialogue marketing. Mais de quel dialogue parle-t-on réellement ?
La voix du succès
Alors que l’on estime que 30% des recherches se feront par la voix en 2020(1), le marché des assistants vocaux a pris ces derniers mois une certaine ampleur avec la multiplication des offres et des usages. À tel point qu’ils deviendront l’un des principaux modes d’interaction client au cours des trois prochaines années. Des chiffres qui traduisent un véritable engouement des consommateurs pour qui l’assistant vocal représente une simplification du quotidien comme du parcours d’achat. Aujourd’hui, ils sont même un quart à privilégier l’assistant vocal au site internet (et 40% dans 3 ans) tandis que 31% d’entre eux préfèreront à l’avenir passer par ce canal plutôt que de se déplacer en magasin ou en agence(2). Les Siri, Alexa et autres Ok Google s’assurent une place de choix dans des foyers toujours aussi demandeurs d’assistance et d’interactivité.
« Va chercher »
Équipé d’une technologie intuitive, personnalisée et constamment à l’écoute, l’utilisateur est invité à déléguer ses tâches quotidiennes et répétitives adoptant progressivement un comportement de donneur d’ordre, d’autant plus naturel qu’il passe par la voix. Questions, achats, commandes de repas, musique, etc. : les utilisateurs multiplient les demandes à la recherche d’une réponse immédiate en transférant une tâche qui leur était initialement destinée. Et du transfert de tâche à celui de la responsabilité, il n’y a peut-être qu’un pas que les assistants vocaux amènent à franchir en plaçant leur interlocuteur dans un confort logistique et intellectuel. Moins de surcharge, moins de gestes et moins de doute mais surtout peu de conversation : on ne dialogue pas avec un assistant vocal, on lui demande de faire. Une relation verticale que l’absence d’approche émotionnelle et la limite des interactions viennent encore un peu plus renforcer. En s’adressant à sa machine, le consommateur s’adresse à une petite main qui lui est entièrement dévouée et qui ne s’exécute qu’au son de sa seule voix.
Vers une génération de dictateurs ?
La question de cette relation qui passe outre le « protocole social » habituel peut paraître anecdotique, en tant qu’il s’agit d’une relation entre un utilisateur et une machine, mais elle révèle finalement une interrogation bien plus profonde : celle du comportement global d’une génération. En l’occurrence ici, la plus jeune qui est aussi la plus exposée aux nouvelles technologies. Avec l’assistant vocal, cette dernière s’affranchit totalement des conventions normalement observées en société : à une enceinte, on ne dit ni « s’il te plaît » ni « merci », pas plus qu’on ne lui demande son ressenti. La seule rhétorique de l’ordre fait ici foi et elle n’admet aucun apparat de savoir-vivre. La problématique va au-delà du manque de politesse : elle sous-tend l’émergence d’une génération très directive et largement habituée à se voir offrir une solution ou un gain immédiat. Et qui calquerait ses relations sociales sur son modèle d’interaction avec la machine : la fin des prémices au dialogue, et du dialogue lui-même, avec comme seul horizon la satisfaction d’un ordre dissimulé en requête. Ou quand les utilisateurs deviennent peu à peu des tyrans…
Mais il est peut-être encore trop tôt pour parler d’ère tyrannique. D’abord parce que les utilisateurs, aussi jeunes et directifs soient-ils, s’adressent à un robot et sont donc en mesure de faire la différence avec le monde extérieur. Ils restent dans le cadre d’un usage circonscrit à des demandes faites à un objet. Ensuite parce que l’objet lui-même est appelé à évoluer pour rajouter plus d’interaction, d’altérité et donc d’humain dans son fonctionnement. Certains fabricants ont déjà intégré cette dimension en développant une IA émotionnelle capable de comprendre et d’interagir avec les émotions de l’utilisateur, notamment Amazon dont l’assistant valorise (et récompense) la politesse des enfants.
Reste qu’à force de développer les émotions de l’assistant vocal et de repousser encore un peu plus les frontières entre l’humain et le robot, la question ne sera sans doute plus de savoir comment s’adresser à une machine mais bien de savoir à qui nous nous adressons réellement…
(1) Etude Gartner, 2017
(2) Etude Digital Transformation Institute, Capgemini 2017